Statutairement neutre

J'ai découvert, il y a peu, l'existence d'un débat d'ampleur nationale concernant l'écriture inclusive. Ou pas vraiment : il ne porte en fait que sur un tout petit aspect de la question. Comme ce fut le cas pour d'autres choses, la plupart des gens qui se sont emparés du débat l'ont fait sans réellement connaître ce dont il était question, ce qui, évidemment, n'aide pas. Puisque, vous l'aurez peut-être remarqué dans mes précédents articles, mon expérience de la chose date d'avant cette polémique, souffrez que j'apporte quelques éléments de réponse sur le sujet.


Commençons par le début, à savoir ce dont il est question, au juste : l'écriture inclusive, c'est un ensemble de pistes de réflexion visant à communiquer d'une manière qui respecte l'ensemble des gens (d'où son nom, d'ailleurs). La fameuse structure pointée n'en est qu'un aspect plutôt mineur, et assez spécifique à certains contextes, et chacun des autres points que je vais développer ci-dessous en fait au moins autant partie (c'est d'ailleurs “amusant”, ici et là, de lire des critiques de l'« écriture inclusive » qui proposent, en guise d'« alternative »… d'autres aspects de l'écriture inclusive).

Précisons également autre chose : jamais personne, parmi les gens qui, comme moi, ont choisi d'utiliser cette manière d'écrire depuis longtemps avant l'existence du présent débat, n'a eu le désir d'imposer quoi que ce soit. Il s'agit de propositions, que chacun⋅e est libre d'utiliser ou pas. Mais avant tout, il s'agit d'une réflexion en cours sur la meilleure façon de faire. En l'état actuel des choses, il ne saurait y avoir de « manuel » d'écriture inclusive qui puisse faire référence, et il serait clairement prématuré de la faire entrer dans les programmes scolaires(1).

Mais donc, puisqu'il s'agit de pistes de réflexions, réfléchissons ensemble. Voici quelques uns des aspects (je ne prétends pas ne pas en oublier moi-même) qui méritent qu'on s'y intéresse :


Tournures épicènes [epicene]

« Épicène » signifie « qui a la même forme au masculin et au féminin ». Il s'agit donc ici de choisir des tournures qui pourront s'appliquer aussi bien dans les deux genres, quitte à changer un peu les formulations habituelles. C'est, je pense, la partie la plus importante de la question, et c'est par là que j'ai personnellement commencé(2). Ainsi, je ne parle plus depuis un bail de « mes lecteurs » ou de « mes lectrices », mais de « mon lectorat », c'est peut-être moins personnel, mais ça présente l'intérêt d'englober facilement tout le monde.

Cependant, utiliser des tournures épicènes n'est pas toujours possible, ou bien conduit à éviter tant et tant de choses que s'y limiter entraînerait un appauvrissement notable de la langue. Il y a des réflexions en cours sur la façon dont on pourrait créer un véritable neutre (c'est-à-dire, autre chose qu'un masculin générique) dans la langue française, mais je crains qu'en l'état, arriver à quelque chose d'acceptable pour tout le monde ne prenne un temps assez important.

Heureusement, il y a en attendant d'autres manières de faire.


Jeux de genre [jeux-genre]

Une manière assez simple de rendre les choses équitables, qui n'est pas épicène mais peut revenir au même dans la pratique, est de privilégier certains mots et de dérouler les accords à partir d'eux en décalage avec ce qui se fait d'habitude. On peut par exemple désigner n'importe qui, fut-ce un modèle de virilisme, par « une personne », et ensuite passer le reste du texte à genrer cette personne au féminin, de manière on ne peut plus respectueuse des règles classiques.

Des auteurs l'ont fait sans aucune arrière-pensée féministe, et si le fait que j'utilise ce genre de jeux vous conduit à me regarder de travers, je me ferai ici un plaisir de chanter, avec l'Oncle Georges, que « je suis de la mauvaise herbe, bonnes gens(3) ». Notons d'ailleurs, comme je l'avais déjà évoqué, que la façon d'accorder les adjectifs à ce dernier mot, assez complexe même sans aucune des velléités que l'on prête aux adeptes de l'écriture inclusive, permet elle-même de beaucoup s'amuser avec le genre.


Coexistence des genres [coexistence]

Allons un brin plus loin en signalant que le français, tel que nous le connaissons actuellement, donc sans écriture inclusive aucune, ne dispose pas de neutre, et que ni le masculin, ni le féminin ne sont englobants. Quand vous dites « joueurs », par exemple, vous désignez uniquement les personnes qui jouent se trouvant être de genre masculin, au même titre que, quand vous dites « joueuses », vous ne désignez que celles se trouvant être de genre féminin.

C'est, sans doute, la raison pour laquelle les discours politiques, fut une époque, commençaient par ce fameux Françaises, Français qui avait inspiré Pierre Desproges (sa litanie vous était rappelée dans l'article dont j'ai déjà donné le lien). Plus récemment, nos présidents se sont mis à préférer l'accroche mes chers compatriotes(4), preuve s'il en est que les tournures épicènes ne sont pas l'apanage des féministes acharné⋅e⋅s.

La fameuse règle du « masculin à valeur de neutre » n'est qu'une règle d'accord (nous y reviendrons), et, en bon français, ne s'applique pas ici (imaginez avoir devant vous un garçon et une fille : je suis à peu près sûr qu'il ne vous viendrait pas à l'idée de les désigner tou⋅te⋅s deux par « les garçons »). De ce fait, il est, dans certains cas (je vous parle par exemple de celui des statuts associatifs dans cet autre article) nécessaire pour respecter l'usage classique non-inclusif de la langue, d'utiliser les deux genres de manière conjointe.

La fameuse structure pointée qui nous occupera tout à l'heure peut être utilisée dans ce cas dans le but de rendre les choses moins lourdes. Mais encore faut-il, pour cela, qu'une forme féminine existe pour pouvoir être pointée, ce qui, parfois, nécessite de l'inventer…


Féminisation des titres et noms de métiers [titres]

C'est là, je pense, que les avis commencent à diverger (encore que je suis à peu près sûr que certaines personnes trouveront à redire dès la partie sur l'épicène, voire avant, tant le fait de rendre les choses équitables attire des réactions épidermiques des gens qui apprécient l'état injuste des choses). On trouve en effet pléthore de raisons, plus ou moins recevables, pour lesquelles il faudrait conserver les titres et noms de métiers au masculin pour parler de femmes. La plus emblématique étant sans doute ce fameux « parce que, justement, le fait d'être un homme ou une femme n'a pas d'importance, donc évitons d'insister dessus ».

Sauf que c'est oublier un peu vite la situation actuelle, à savoir le fait que la plupart des métiers dont on ne sait pas trop comment féminiser le nom, historiquement plus ou moins interdits aux femmes, sont encore à très forte majorité masculine, chose qui a même tendance à s'aggraver dans certains domaines. Non, on ne peut pas considérer que de nos jours, personne ne considère plus que ces professions sont réservées aux hommes, comme je l'ai lu récemment. J'en veux pour preuve le fait que l'on constate, depuis plusieurs années, le besoin de mener des campagnes publicitaires (même si certaines font plus de mal que de bien sur ce thème) pour inciter les femmes à rejoindre certaines filières. Sauf erreur de ma part, les études sociologiques menées sur le sujet constatent qu'un grand nombre de femmes ne se sentent (à tort) pas à la hauteur pour s'engager dans certaines de ces voies, et insister, par la féminisation des titres, sur le fait qu'elles y ont leur place, est une manière d'améliorer les choses à ce niveau.

Je joins d'ailleurs ici un petit guide pratique du Haut Conseil de l'Égalité(5) qui présente succinctement quelques propositions, notamment à ce niveau, et, surtout, donne pas mal d'éléments de contexte intéressants sur ce thème.


Mais, profitons-en pour le signaler : le langage n'est pas quelque chose qui existe de façon absolue. Il y a des patois, des jargons et autres. Il y a surtout besoin de choisir la façon dont on parle en fonction du contexte. Et c'est, je pense, sur ce point que l'écriture inclusive est particulièrement mal comprise, alors précisons un peu les choses.


Prise en compte du contexte [contexte]

La structure pointée, comme certaines autres des propositions que l'on regroupe sous le terme très vaste d'« écriture inclusive », n'est pas nécessairement quelque chose qui s'applique dans tous les cas. Pour ce que j'en ai croisé jusque là, l'essentiel de son usage vise une communauté plus ou moins précise : la communauté geeke. Cela se voit notamment au choix du point médian (« ⋅ »), caractère que peu de gens en dehors de cette communauté savent trouver sur leur clavier (et dont une bonne partie des gens qui râlent contre « l'écriture inclusive » n'ont jamais entendu parler, alors qu'il ne gêne personne chez nous).

Cette communauté geeke a ses particularités. Je l'ai déjà mentionné ici, et j'en parle régulièrement en conférence : quoique l'informatique doive une grande partie de son existence à deux femmes et un homo, ce domaine est devenu, par chez nous, une sorte de bastion du machisme dont les femmes sont souvent exclues d'une manière ou d'une autre. C'est dans ce contexte-là que le fait d'insister sur les marqueurs de genre féminins prend toute son importance(6).

Faire clairement apparaître ces marqueurs, dans ce contexte, est une manière d'envoyer un signal à nos camarades geekes : non, ce milieu ne vous est pas interdit, et oui, vous avez autant (si ce n'est plus, car les barrières à l'entrée font que les femmes qui ont réussi à entrer sont souvent nettement au dessus de la moyenne) d'importance que vos homologues masculins dans notre communauté. C'est un moyen utilisé pour renforcer leur légitimité et leur permettre de prendre la place qu'elles méritent. Et, dans ce cadre, cela fonctionne.

Évidemment, quand la situation est différente, les enjeux peuvent l'être aussi. Si vos milieux de références sont des milieux qui sont déjà suffisamment mixtes, il est parfaitement légitime qu'insister sur la présence des deux genres vous paraisse lourd, voire sexiste. Dites-vous simplement que tout le monde n'est, malheureusement, pas aussi avancé que les gens que vous fréquentez sur la question.


Maintenant seulement que nous avons tout ceci en tête, nous pouvons nous pencher sur la question de ces doubles-marquages, qui apparaît légitimement comme un OVNI si on ne présente pas d'abord ce qui précède.


Structure pointée [point-median]

Cette structure s'applique donc, à la base, « faute de mieux » : la manière la plus inclusive d'écrire, je pense que tout le monde sera d'accord sur ce point, est d'écrire de façon épicène ; mais il faut bien faire quelque chose lorsque ce n'est pas faisable. Dans ce cas, comme on l'a vu, l'usage classique de la langue voudrait que l'on mette les deux mots, et que l'on parle de « joueurs et joueuses », d'« un développeur ou une développeuse ». Nous sommes d'accord sur le fait que c'est lourd, à plus forte raison quand ces mots doivent revenir à de nombreuses reprises dans le texte (comme dans le cas de statuts d'association).

Fort humainement, la plupart des gens préfèrent se faciliter la tâche. C'est, me semble-t-il, de tout cela qu'est venue l'idée de simplifier l'écriture en factorisant : le masculin et le féminin d'un même mot ayant généralement une grande partie commune, on peut n'écrire qu'une seule fois cette partie tout en conservant les deux terminaisons. Ainsi, pour reprendre un exemple précédent (puisque je me verras mal dire à chaque fois « un membre de mon lectorat », ce qui n'est d'ailleurs pas complètement épicène), « un⋅e lecteur⋅trice ». Ou « un⋅e lectrice⋅teur » : on peut jouer sur le genre en ne mettant pas toujours les choses dans le même ordre, afin de ne pas favoriser l'un plutôt que l'autre (certaines personnes recommandent ici, afin de systématiser, de suivre toujours l'ordre alphabétique).

Précisons qu'il ne s'agit pas ici d'un usage systématique : à moins d'une raison spécifique de faire apparaître les deux genres, dès lors qu'on peut utiliser une tournure épicène ou un terme qui s'applique dans tous les cas (individu, personne), ce choix va généralement être privilégié. De même, lorsqu'on parle d'un individu précis, dont le genre (à prendre ici au sens social, c'est-à-dire grosso-modo l'ensemble des représentations associées à son sexe biologique) est déterminé et connu, point n'est besoin de faire figurer l'autre genre (grammatical)(7).

Ce qui occupe donc le devant de la scène au cours de ce débat n'est donc qu'un point mineur, que l'on applique généralement que lorsqu'il n'est pas possible de faire autrement, et en conséquence d'autres points dont un certain nombre trouvent leur source hors de l'écriture inclusive. Fameux débat que celui-là.


On objectera que le résultat est assez hideux à l'œil. Peut-être, mais c'est, comme pour tout, une affaire de goûts personnels, et, surtout, d'habitude.


Remise en cause des habitudes [habitudes]

Je vous en parlais il y a relativement peu, dans un tout autre domaine, les habitudes jouent un rôle extrêmement important dans notre façon de penser le monde. Quand on n'en a jamais croisé, et ce fut mon cas à une époque, il est vrai que ces structures pointées peuvent sembler assez bizarres. Si l'on est convaincu⋅e par la démarche générale (je parle ici du fait d'atténuer le sexisme de la langue, pas d'utiliser cette façon de faire en particulier), un premier réflexe est généralement (c'est de là que je tire, entre autres, mon usage de « lectorat », par exemple) est d'essayer plutôt de les éviter en préférant des tournures épicènes. Tant mieux : mettre celles-ci en avant est exactement l'objectif à atteindre.

Pour autant, pour peu que l'on perçoive l'intérêt de cette façon de faire, elle se met assez rapidement à ne plus autant choquer l'œil. On peut aussi se mettre à l'utiliser, et, là encore, même si c'est un peu lourd au début, l'habitude vient très vite (j'ai eu, par exemple, beaucoup moins de mal à me mettre à ça qu'à avoir une typographie correcte). Au bout d'un moment, on finit par avoir le réflexe de commencer un mail s'adressant à plusieurs personnes de genres différents par « Bonjour à tou⋅te⋅s » sans se poser de questions.

C'est peut-être spécifique à mes goûts esthétiques personnels ; mais, maintenant, je trouve même la chose plutôt élégante. Il s'agit après tout de faire attention à tout le monde de la manière la plus concise possible.

Mais que ce soit pour la structure pointée, pour l'usage de l'épicène ou pour n'importe quelle autre partie de la proposition, le point essentiel est de comprendre que nous sommes habitué⋅e⋅s à une manière de parler et d'écrire qui est, en pratique, sexiste, et qu'il est nécessaire, si nous voulons améliorer pour de bon les choses à ce niveau(8), de remettre en cause nos habitudes, quelle que soit la façon de faire que nous adopterons ensuite. Et, à ce sujet, il faut peut-être aussi remettre en cause certains points de repères classiques.


En finir avec l'Académie [academie]

Il était temps d'y venir, car nos académiciens (seulement sept femmes élues, et ce depuis 1980, l'institution remontant à 1635 : l'intérêt d'écrire « académicien⋅ne⋅s » est ici assez faible…) figurent bien évidemment au rang des premiers opposant⋅e⋅s à l'écriture inclusive. Peut-être même parmi les seul⋅e⋅s qui soient contre l'écriture inclusive en général, et non seulement contre cette fameuse structure pointée. Ce qui est d'ailleurs parfaitement naturel : c'est très exactement leur rôle. La raison pour laquelle cette institution a été créée à la base est de rendre la langue plus masculine et plus complexe à écrire.

Ses premières actions ont été d'imposer cette fameuse règle du « masculin qui l'emporte » (avec, ça a déjà été dit, des arguments on ne peut plus sexistes à l'époque) et des orthographes « étymologiques » qui n'existaient simplement pas auparavant, dans le but explicite de rendre le fait de bien écrire difficilement accessible au tout venant. Pas étonnant, donc, qu'ils aient été tout aussi hostiles à cette fameuse réforme orthographique de 1990, pour laquelle je partage grosso-modo l'avis de Gee.

Notons d'ailleurs au passage que cette institution ne compte à peu près aucun linguiste de métier ou de formation. Pas plus que de chercheurs dans n'importe quel domaine plus ou moins lié à la langue. Et n'ont, hormis une édition par demi-siècle d'un dictionnaire dont ils sous-traitent l'essentiel du travail, jamais rien produit de franchement utile sur le sujet. Il n'y a, en dehors du fait qu'elle date de l'ancien régime (ce qui, en y réfléchissant, est plutôt en leur défaveur), absolument rien de légitime à l'autorité à laquelle ils prétendent(9).

Mais, plutôt que de m'étendre trop longuement sur le sujet, je vais plutôt vous renvoyer à cet article, qui synthétise très bien le tout (et complète au passage, et entre autres, la remarque de Gee à propos de « nénuphar »).


Règles d'accord [accords]

Puisque nous venons de parler de l'académie et de son « masculin qui l'emporte », enchaînons sur les possibilités qu'il y a de faire autrement, et profitons-en pour préciser encore, si besoin en était, la véritable position de cette structure pointée : celle-ci porte initialement sur les noms à accorder, et non pas sur les accords eux-mêmes.

Évidemment, si l'on a pas eu d'autres choix que de commencer à procéder ainsi, l'usage des deux marqueurs de genres a tendance à rester par la suite, parce que choisir serait délicat : je vais ainsi écrire que « les joueurs⋅ses sont enthousiasmé⋅e⋅s par ce jeu ». Mais dès lors qu'un mot à accorder a un genre précis, celui-ci sera respecté : « mes lectrices⋅teurs sont des personnes charmantes »(10). Le souci vient, comme souvent, du cas où un même adjectif doit qualifier deux mots genrés différemment (ou plus, mais si plus il y a, on peut aussi envisager un accord qui soit fonction du nombre).

Y a-t-il une bonne façon de faire, dans ce cas ? Je n'en suis pas sûr, et, comme souvent, pouvoir retirer complètement les marques de genres faciliterait les choses à ce niveau. Hélas, ça demanderait souvent des changements bien plus lourds que ceux de la structure pointée. Raison pour laquelle les adeptes de l'écriture inclusive ont généralement tendance à faire au plus simple, à savoir accorder selon une règle que tout le monde a déjà utilisé spontanément, même si elle s'oppose à celle du « masculin qui l'emporte » : la règle de proximité(11).

Le principe est ici d'accorder l'adjectif en fonction de celui des deux mots qui lui sont les plus proches : « le garçon et la fille sont belles », « la fille et le garçon sont beaux ». En essayant, encore une fois, de ne pas toujours systématiquement utiliser le même ordre : si ça ne conduisait qu'à placer les choses de telle sorte que la règle du « masculin qui l'emporte » reste toujours vérifié (en mettant donc toujours le nom masculin au plus près des adjectifs à accorder), ça n'apporterait pas grand chose, si ce n'est davantage de rigidité parfaitement inutile.

Et, oui, ça fait partie intégrante des propositions de l'écriture inclusive, sans doute même depuis largement plus longtemps que les structures pointées.


Invention de nouvelles formes [neologismes]

Terminons avec quelque chose dont je vous avais déjà parlé dans l'article plusieurs fois sus-lié : l'idée de fabriquer de nouvelles terminaisons, voire de nouveaux mots, pour former ce genre neutre qui n'existe pas encore dans notre langue. Ce qui, comme pour la structure pointée, se fait principalement en accolant les formes masculines et féminines, parce que c'est généralement plus pratique de se rapporter à ce que l'on connaît que de créer de nouvelles choses ex nihilo.

J'ai ainsi parlé dans l'autre article du cas de « ille(s) » ou « iel(s) ». On peut aussi mentionner d'autres formes comme « læ », ou « celleux ». Comme pour le reste, ça apparaît souvent comme assez barbare ou atroce aux yeux des gens qui ne s'y sont pas habitués ; même si, au bout d'un moment, on s'y fait. Clairement, si quelqu'un à de meilleures propositions, il ne faut pas hésiter à les faire ; mais trouver quelque chose qui fasse l'unanimité sera loin d'être évident.

Une piste, toutefois : pas mal des tentatives qui ont eu lieu jusque là ont tendance à rallonger les mots. Ce n'est sans doute pas la meilleure façon de faire : l'usage habituel a plutôt tendance à les tronquer (« cinéma », par exemple, était déjà une abréviation, et l'usage tend tout de même à le réduire encore). Faire disparaître les marqueurs de genre peut peut-être se tenter au sens propre, en amputant les mots de ces terminaisons. Après tout, tout le monde dit spontanément « une prof' », même sans savoir au juste comment on écrit professeur au féminin. Mais, là encore, ça ne s'applique pas aussi bien dans tous les cas.


Bref, je crois qu'on a fait le tour des pistes de réflexions principales sur le sujet (mais après tout, je ne suis moi-même pas un spécialiste, et il se peut que j'en aie manqué quelques autres). Une fois encore, vous voyez qu'elles sont loin de se limiter à cette seule structure pointée, et surtout, qu'il ne s'agit pas d'une « réforme » toute prête que l'on chercherait à imposer, mais avant tout d'un questionnement sur les usages actuels, que chacun⋅e est libre de rejoindre ou non.

Un point essentiel, ici, est de prendre conscience de l'ampleur du chemin qui reste à parcourir : oui, nous aimerions tou⋅te⋅s pouvoir simplement envoyer valser les accords en genre, mais non, ce n'est pas encore possible. Ça viendra, je l'espère, dans une seconde étape, mais pour l'instant, il reste des contextes dans lesquels insister sur le féminin est encore nécessaire pour lutter efficacement contre le sexisme en place. Pas tous, heureusement.

Si j'ai pu vous donner envie de creuser un peu, n'hésitez pas à poursuivre cette lecture : je consacre un autre article (dont j'avais également déjà donné le lien) à un exemple de mise en pratique, celui de la réécriture, inclusive, des statuts de la Fédé FDN, en juin dernier, pour laquelle j'ai personnellement une certaine part de responsabilité.


Dans tous les cas, précisons encore une chose : le débat national n'est pas de notre fait. Cela fait plusieurs années que nous réfléchissons sur le sujet au sein de nos mouvements militants sans que personne d'extérieur n'y prête la moindre attention, et nous nous attendions à continuer à le faire encore un moment. Le point qui a été mis en lumière n'est pas forcément le point majeur pour nous ; mais les tensions qui se cristallisent autour risquent fort, comme ce fut le cas à d'autres moments, de servir de chiffon rouge pour détourner l'attention de la société d'autres problèmes. Ne nous laissons pas avoir.


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